Semur-en-Auxois (Côte-d'Or)
juin 2008 - 800 kilos de peinture - 120 participants
Matériaux, les ocres
À la recherche des véritables couleurs d’un terroir
La chanson des ocriers résonne encore derrière les portes de quelques- unes de ces belles maisons de Bourgogne. Pour ceux qui l’auraient oubliée, plongez-vous dans votre collection de revues, vous la retrouverez à la page 9 du n° 120. C’était en 1996. Un numéro spécial avait été consacré à la couleur. C’était aussi notre première rencontre avec Félicien Carli, un jeune architecte qui venait de créer l’association «Terres et Couleurs».
La chanson des ocriers résonne encore derrière les portes de quelques-unes de ces belles maisons de Bourgogne. Pour ceux qui l’auraient oubliée, plongez-vous dans votre collection de revues, vous la retrouverez à la page 9 du n° 120. C’était en 1996. Un numéro spécial avait été consacré à la couleur. C’était aussi notre première rencontre avec Félicien Carli, un jeune architecte qui venait de créer l’association «Terres et Couleurs».
Terres et Couleurs est devenue, treize ans après, une grande famille nationale et, même, internationale, où se sont rassemblés des producteurs d’ocres, des scientifiques, des historiens, des prescripteurs, des artisans, des artistes et, enfin, une foule d’utilisateurs soucieux de protéger le patrimoine.
Félicien nous a fait comprendre que pour réveiller l’âme des couleurs, il faut commencer par réveiller les couleurs de l’âme des locaux, leur donner envie de défendre ce patrimoine industriel des terres colorantes qui participe hautement à la qualité architecturale du bâti ancien. Il est toujours très menacé. Il ne reste plus que trois producteurs de terres colorantes en France à l’heure actuelle.
Réunir les « gens de ville et les gens des champs » autour des matériaux locaux et à travers leurs usages, en l’occurrence, les ocres, a donc toujours été l’objectif principal du président Félicien Carli, devenu directeur du CAUE de Côte-d’Or.
«Félicien dirige bien son bateau de couleurs » murmurait-on dans les coulisses de l’exploit semurois. Nous avons, en effet, été les témoins, ces samedi et dimanche 20/21 juin 2008, d’un spectaculaire rassemblement de bénévoles, professionnels et amateurs, dont l’objectif était de redonner à un vieux quartier de Semur-en-Auxois en Côte-d’Or, ses couleurs véritables d’antan.
«Ce n’est pas uniquement histoire de remettre un coup de peinture ici ou là, nous dit Félicien, c’est surtout tenter d’ouvrir les yeux des locaux, de les guider dans leurs choix, de leur communiquer des principes architecturaux et esthétiques, de leur montrer, à travers une manière d’observer, les qualités, les potentiels de leurs constructions, enfin de leur faire redécouvrir les matières et les coutumes locales.»
Et c’est ainsi que Félicien et son équipe, après deux réunions publiques préalables, réussiront à motiver plus d’une centaine de Semurois.
Une peinture qui a de l’avenir
Le défi à relever était de taille : repeindre un des quartiers de cette magnifique ville médiévale en deux jours ! Un chantier collectif unique dans l’histoire de Semur.
Grâce à quelques coups de mains et coups de pinceaux appliqués à l’unisson, les habitants du quartier St-Lazare à Semur-en-Auxois ont ainsi pris conscience qu’ils étaient encore en possession de ressources géologiques locales devenues rares : l’ocre de Bourgogne.
La fabrication et la mise en œuvre de cette peinture à l’ocre est un véritable jeu d’enfants, ajoute Félicien. Elle s’applique directement sur le bois brut et les outils se rincent à l’eau.
Au diable les peintures toxiques, polluantes. Les peintures à l’ocre protègent très bien les bois et les rendent imputrescibles. Solides, écologiques et par-dessus tout économiques, la peinture à l’ocre a de beaux jours devant elle.
Mais où trouve-t-on ces pigments naturels ? En 1997, « Terres et Couleurs » a fait analyser toutes les terres colorantes commercialisées en France par le Centre de recherches et de restauration des Musées de France. Cela a permis de distinguer plusieurs types de terres colorantes : l’ocre, la terre de Sienne et la terre d’ombre. Des quantités très faibles de terres noires, rouges ou vertes sont très localement exploitées. La France est riche en terres colorées mais de qualité diverse.
Aujourd’hui, deux régions seulement produisent et commercialisent en quantité importante ces terres colorantes : la Provence avec le site de Roussillon et la Bourgogne, à St-Amand-en-Puisaye. La terre de Sienne est encore exploitée dans les Ardennes à Villers-le-Tourneur. Quant à la terre d’ombre, elle arrive de Chypre, adieu le local !
Les ocres : une longue histoire
Ces matières colorantes sont à l’origine des premiers décors de l’humanité. Ces ocres et ces terres colorantes sont une constante dans l’histoire de l’homme. Ces couleurs sont parfaitement stables dans le temps : les peintures des grottes de Lascaux en sont la meilleure preuve. C’est le fer qui donne la couleur de la plupart des terres naturelles. La croûte terrestre en recèle une grande quantité.
En dehors des sables ocreux, nous avons su utiliser les oxydes de fer, l’hématite et la limonite.
L’hématite, à l’état brut, est noire. Elle ne devient rouge sang que pulvérisée. Elle peut fournir une gamme allant du pourpre violacé au rouge et à l’orangé. La limonite penche plutôt vers le jaune en se déclinant vers le brun.
Les sables ocreux sont donc très répandus. Ils sont composés de quartz, d’une argile (la kaolinite) et d’un oxyde de fer. Ainsi, avec de l’hématite, les sables ocreux sont rouge orangé, rouges ou rouge violacé. La goethite présente dans la limonite se transforme en hématite par cuisson. C’est ainsi que l’on obtient des ocres rouges à partir des sables ocreux jaunes largement plus abondants dans la nature. Enfin, cette goethite mêlée à une faible quantité d’oxyde de manganèse nous propose des terres brunes appelées terres de Sienne et d’ombre.
Mise en peinture gratuite
Après un inventaire des traces de peinture repérées dans le quartier concerné par cette expérience, une palette de cinq couleurs a été proposée aux Semurois : ocre jaune, rouge, et hématite de Bourgogne, terre de Sienne naturelle et calcinée des Ardennes.
Pendant ces deux journées, des professionnels (coloristes, peintres en décors, restaurateurs) étaient présents pour conseiller, assister les habitants dans leur choix de peinture.
Quelques membres de l’association MPF (Côte-d’Or, Yonne, Aveyron) avaient fait le déplacement avec, pourquoi pas, l’idée d’étendre l’expérience dans leur région.
Toute l’équipe du CAUE était sur le pont ! Chacun apportant aux propriétaires des maisons sélectionnées, les conseils et les ingrédients pour la fabrication des peintures.
À vos brosses !
À 10 heures précises, ustensiles et produits divers étaient à la disposition des nombreux habitants qui avaient fait le choix de repeindre portes, fenêtres et volets suivant la bonne recette. Fournie et réalisée gratuitement par l’équipe du CAUE, la peinture est d’abord préparée sous les yeux des utilisateurs et des curieux.
Près d’une centaine de façades vont ainsi retrouver les couleurs d’antan. Une grande cuisine en plein air s’improvise alors. Tous les ingrédients sont à la disposition des propriétaires décidés à partager ce défi unique : l’eau, la farine de blé ou de seigle, l’ocre, le sulfate de fer, l’huile de lin et le savon liquide.
La farine, d’abord diluée dans un peu d’eau, est versée dans une quantité d’eau bouillante qui va cuire pendant 15 minutes en prenant soin de bien remuer. C’est dans cette mixture que seront versés le pigment et le sulfate de fer qui vont continuer de cuire pendant 15 autres minutes.
L’huile de lin et le savon liquide, pour favoriser l’émulsion de l’huile, terminent l’opération. Un jeu d’enfant en effet, pouvait-on entendre dire dans les petits groupes qui s’étaient formés autour des récipients.
Les bras chargés de «camions», il ne restait plus qu’à bien appliquer les conseils pour la mise en œuvre. C’est à ce stade que les choses sérieuses ont commencé ! Comme chacun le sait ou devrait le savoir, préparer le bois afin d’avoir un résultat durable et parfait est essentiel dans l’art de la peinture en bâtiment.
Ainsi, les nettoyages par brossage, jusqu’à l’emploi de la lance haute pression, sont entrés en action les jours précédant l’application. Il est, en effet, fortement conseillé de ne pas peindre une surface humide. Tout comme il est déconseillé de peindre une surface échauffée par le soleil.
Et c’est ainsi que de bouche à oreille, les conseils, les astuces, les recettes vont courir les rues. «Une peinture diluée de 10 à 20 % d’eau est idéale pour la couche d’apprêt sur le bois neuf... Pour la couche de finition, pas de dilution... Le temps de séchage est record : une heure... Attention, par forte pluie, la peinture peut couler et tacher les murs... »
Une tonne de peinture à l’ocre a ainsi été fabriquée et appliquée sur une centaine de façades en deux jours. C’est la première fois, à la connaissance de Félicien, qu’une telle opération est mise en œuvre en France.
L’idée de rassembler des locaux autour d’un vaste échange de coups de main et d’expressions colorées pour redonner à leur quartier, leur village, les couleurs d’antan a demandé beaucoup de travail aux membres du CAUE de Côte-d’Or en partenariat avec le Service départemental de l’architecture et du patrimoine (SDAP) et l’association Terres et Couleurs. Après le succès de Châteauneuf en Bourgogne et de Semur-en-Auxois, le défi est lancé. A qui le tour en 2009 ?
Enfin, cette mise en couleur festive fut couronnée par la présence du soleil, bien sûr, mais surtout par une mise en couleur, plus que surprenante, de la rivière Armançon, Avez-vous déjà observé une rivière colorée artificiellement en vert fluorescent ? Certes, la magie était présente à travers la prestation de deux magiciens professionnels, mais quel étonnement pour les riverains de voir leur rivière changer à ce point de couleur ?
Au carrefour des couleurs d’antan, la joie des organisateurs, des participants et des spectateurs était au « feu vert » jusqu’à la nuit tombante. Merci, Félicien, pour ce bel élan coloré ! Maintenant nous n’avons plus « froid aux yeux» et pouvons penser à relever d’autres défis colorés.
Maisons Paysanne de France
n° 170 - 4 T. 2008
Chantal Pontvianne
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