• ocre terres et couleurs
  • Association loi 1901 pour la promotion des ocres et des terres colorantes

  • nuances d'ocre

collégiale de Semur (Côte-d’Or)

septembre 2021 - 80 kilos de peinture - 20 participants


L’église de Semur-en-Auxois retrouve son ocre d’autrefois

L’association Terres et couleurs repeint gratuitement les huisseries de bâtiments anciens en une journée, leur redonnant ainsi leur lustre d’antan. Exploit réussi en Bourgogne !

Sous le porche de la collégiale Notre-Dame de Semur-en-Auxois (Côte-d’Or) se trouve un arsenal inattendu : pinceaux, brosses, éponges, chiffons, grosses louches, pains de savon de Marseille, bidons d’huile de lin, sacs de farine et d’ocre jonchent le parvis. Tandis que les premières bassines se remplissent de peinture, l’excitation gagne un bataillon peu ordinaire. Ce matin-là, il est 9 heures, les membres de l’association Terres et couleurs trépignent. « Il faut les retenir de peindre », s’amuse Félicien Carli, président et fondateur de l’association. Ces 18 bénévoles enthousiastes, arrivés la veille de toute la France, s’apprêtent ainsi à redonner des couleurs à la collégiale de Semur-en-Auxois. Le temps d’une journée, ils repeignent les portails qui datent du XVe siècle. Et pour cela, ils emploient une peinture à l’ocre, fabriquée sur place, cuite dans de grandes marmites sous le porche de la collégiale.
L’opération, minutieusement préparée, a reçu la bénédiction des architectes des bâtiments de France et de la conservation régionale des monuments historiques. « Cela fait 10 ans que nous sommes en discussion », confie Félicien Carli. L’observation du bâtiment et le prélèvement de restes de peinture sur les battants ont permis de déterminer les couleurs du chantier : un rouge sombre, obtenu par un mélange d’ocre de Bourgogne et d’hématite pour la porte latérale du nord de la collégiale, et pour l’entrée principale un jaune moutarde, mélange de terre de Sienne prélevée dans les Ardennes et d’ocre jaune.

NATURELLE, NON TOXIQUE ET LOCALE

L’ocre est au cœur de l’opération. Félicien Carli, architecte amoureux des techniques traditionnelles de construction, se consacre à cette mission depuis la fondation de l’association il y a 25 ans : faire connaître ce pigment naturel et écologique, supplanté à partir des années 1960 par des produits synthétiques. Pourtant, ces pigments, dont la palette s’étend du jaune au rouge, en passant par le vert, ont longtemps été utilisés, comme en attestent les peintures rupestres des grottes préhistoriques. Des peaux des saucisses de Strasbourg, jusqu’aux appâts de pêche, en passant par la teinture des linoléums, les ocres étaient encore très employées au début du XXe siècle. En 1938, la France produisait 20 000 t d’ocre par an ; aujourd’hui, la production a été divisée par 10, selon Félicien Carli. On ne trouve plus que trois sites d’extraction en France : dans la Nièvre, dans les Ardennes et dans le Vaucluse. « Une carrière qui ferme, c’est une couleur perdue », commente Alexandra tandis qu’elle met en place le petit stand de l’association où seront vendus aux passants curieux quelques sacs d’ocres et des fascicules de recettes de peintures édités par l’association, ce qui permet de financer les opérations de Terres et couleurs.

APRÈS CARCASSONNE ET LA CITADELLE DE BLAYE

Les joyeux soldats de l’association n’en sont pas à leur coup d’essai. Ce jour-là, ils réalisent leur 28e chantier après avoir repeint les huisseries de cinq monuments historiques en Bourgogne, de 18 communes en France, ainsi que de cinq monuments classés au patrimoine mondial de l’Unesco, dont la cité de Carcassonne ou encore la citadelle de Blaye, où ils étaient parfois plusieurs dizaines de bénévoles à intervenir. L’équipe, sous l’œil attentif de Félicien, semble donc bien rodée : les deux chefs d’équipe, Sophie et Agnès, la première supervisant le portail nord et la seconde, le portail principal, se répartissent la main-d’œuvre, tandis que Cyril, commandant de bord dans le civil, promu « chef peinture », officie au-dessus des marmites. Chacun semble savoir quoi faire. « Il faut des petites mains pour que tout roule », considère Clotilde, élue au conseil municipal de Semur-en-Auxois, chargée ici de râper le savon de Marseille, un des ingrédients des quelque 100 l de peinture qui seront étalés.

« EN INTIMITÉ AVEC LE LIEU »

Félicien Carli passe en revue une dernière fois ses troupes. Sur les ouvrages à peindre, il indique où s’arrêtera le trait de peinture. Il faut contourner proprement les ferrures, en colorer d’autres et surtout protéger les pierres de l’édifice, indique-t-il à ses chefs d’équipe. À 10 heures pétantes, le top de départ est donné. Dans un silence quasi religieux, les premiers coups de peinture sont appliqués sur les portes.
Les bénévoles semblent subjugués. Même Jean-Charles, peintre en bâtiment retraité, ne boude pas son plaisir, vantant la texture, le pouvoir de protection contre les ultraviolets et l’humidité, le coût dérisoire (1 € le litre) et la tenue de cette peinture sur le bois.
Les heures s’écoulent, les couches de peinture se recouvrent. « Elles boivent, elles boivent, ces portes. Pas étonnant après 200 ou 300 ans de sobriété », plaisante Agnès, peintre en décor. « Une opération comme celle-ci est la bienvenue », considère Serge Athénor, prêtre installé dans la paroisse début septembre. « Il y a beaucoup de travaux à entreprendre. Nous devons réparer des infiltrations et cet hiver nous rénovons l’une des cloches. Nous y arriverons petit à petit. » La réfection des portails, c’est « du pain bénit » en regard du coût des travaux : 3 millions d’euros dont 600 000 à la charge de cette petite ville de 4 100 habitants.
En fin d’après-midi, les portails affichent leurs couleurs d’origine. Ravis mais fourbus, les compagnons replient le matériel et contemplent leur œuvre, qui durera longtemps.

La Vie - 23 au 29 septembre 2021
Ariane Puccini
 

19/20 - France 3 - 11 septembre 2020